Quand on a des TCA mais qu’on ne le sait pas, ou pire, quand on le sait mais que ceux auprès de qui on cherche de l’aide ne connaissent pas cette maladie, ce qui est épuisant c’est de se lancer chaque fois dans de nouvelles recherches de professionnels. Ca suscite toujours de l’appréhension car il faut chercher seul, réexpliquer ce qu’on vit et ce dont on a besoin, s’y retrouver dans les réponses, tellement différentes, d’un professionnel à l’autre, et constater très souvent l’échec des recommandations qu’on a quand même essayé de suivre, pour finir par se dire qu’on arrivera jamais à s’en sortir.
Quelques exemples de ma démarche pour être aidée avec mes TCA sur les 10 dernières années :
Quand j’ai envisagé que mon rapport à la nourriture était peut-être lié à une maladie, j’ai fait quelques recherches sur Internet et ai découvert les TCA. Sauf qu’à l’époque, TCA c’était seulement anorexie et boulimie vomitive. Pas de bol, moi je me comportais comme une boulimique mais je ne compensais pas… J’ai quand même essayé d’interpeller un hôpital spécialisé sur la question, mais comme je ne rentrais pas dans ces cases, il ne pouvait rien faire pour moi. Chouette. Du coup c’est quoi que j’ai alors ? Et je fais comment pour m’en sortir ?? Après cet espoir d’une piste, j’ai vite déchanté et je me suis sentie seule et anormale.
J’ai alors tenté quelque chose au petit bonheur la chance : direction diététique, pour perdre du poids, puisque là je savais que tout le monde reconnaitrait le problème, et aurait des solutions à me proposer. J’ai eu de la chance, la diététicienne que j’ai rencontrée a compris que j’avais un rapport compliqué à la nourriture, et m’a mise en confiance. Malheureusement, elle n’était pas spécialisée dans ces questions-là et s’est vite sentie dépassée. J’ai quand même pu profiter de ses compétences qui m’ont donné des repères et permis de perdre un peu de poids, mais je ne savais toujours pas comment gérer les crises qui restaient très présentes.
J’ai essayé de discuter avec mon médecin généraliste. A l’écoute, mais ne connaissant pas les TCA, il m’a recommandé un psychiatre qu’il connaissait, pas spécialisé non plus mais « ça devrait déjà m’aider un peu avec ma souffrance ». OK, j’ai tenté. Quand j’ai expliqué mes difficultés à ce psychiatre, sa réponse a été de me diagnostiquer phobique sociale et de me mettre sous antidépresseur. Après quelques séances « à côté », pendant lesquelles je ne me suis pas sentie entendue, j’ai décidé d’arrêter car ça me faisait plus de mal que de bien de devoir sans arrêt justifier ce que je vivais et faisais (et ne faisais pas).
J’ai essayé d’aller voir un autre psychiatre qu’on m’avait recommandé. Lui, il avait l’air de connaître un petit peu le sujet des TCA. Sa réponse a été de me prescrire du Baclofène. Ce médicament faisait polémique quant à son utilisation dans les TCA, mais lui avait quelques retours encourageants donc il a proposé que je tente. J’ai acheté les boîtes mais je n’étais pas très rassurée et finalement j’ai préféré ne pas prendre de risques.
J’ai décidé ensuite de réessayer l’aide de la nutrition, avec quelqu’un peut-être plus spécialisé sur la question des TCA. J’en ai rencontré 3, qui avaient effectivement suivi des formations sur le sujet, et dont une me disait même avoir eu elle-même des TCA, et que donc elle savait bien ce que je vivais. Tous ces discours, chaque fois, m’ont redonné de l’espoir. Et pourtant, arrivée chez moi, je m’effondrais chaque fois sur la « feuille de route » avec laquelle j’étais repartie. Je comprenais bien, intellectuellement, à quoi était censées servir toutes ces recommandations. Et pourtant, je me sentais toujours « à côté » : il fallait tout à la fois que je me mette à réfléchir en équivalences, à trouver du plaisir à manger des trucs qui ne me faisaient pas envie, à me restreindre sur les choses qui, elles, me faisaient envie, à essayer de diversifier mes aliments et mes plats alors même que cuisiner pour moi seule était un vrai combat quotidien, à limiter les quantités pour ne pas dépasser certains seuils, … Mes pensées étaient déjà envahies par la nourriture, et avec tout ça, elles le devenaient encore plus.
Même si on me disait que ce n’était qu’un « idéal » et que j’avais tout le temps pour y arriver, moi, ça faisait des années que j’étais embourbée dans ces problèmes, que je ne me supportais plus, et en plus, perfectionniste, j’ai besoin de faire les choses à fond correctement. Alors me dire de miser sur le temps… ça m’angoissait, ça m’étouffait, de me dire que je n’arriverai pas à atteindre cet idéal tout de suite, et surtout que ça allait me prendre beaucoup de temps et me demander de changer tellement de choses, ces choses qui étaient paradoxalement devenues au fil du temps mes repères… J’ai essayé quand même. Je n’ai même pas tenu quelques jours. Les obsessions étaient si fréquentes que ça aboutissait à de nombreuses crises. Ca m’a complètement découragée, et je me suis sentie encore plus nulle. Car si des Spécialistes de la question me disent que c’est comme ça qu’on traite ce problème, alors si je n’y arrive pas c’est que le problème doit venir de moi. Je sais aujourd’hui que c’est plus compliqué que ça, et pourtant, en tant que malade qui culpabilise déjà d’avoir un problème dont elle se sent responsable, il m’est difficile de me dire autre chose. Après ces échecs, je n’y suis pas retournée car j’avais trop honte de ne pas arriver à faire ce que les Spécialistes m’avaient demandé de faire, et de ne pas être aussi capable que ce qu’ils avaient cru de moi.
Bien plus tard, après de nombreux mois à essayer de me remotiver pour essayer quelque chose, j’ai fini par trouver une autre diététicienne, qui avait l’air de connaitre vraiment mieux la question. Mais là non plus, je n’ai pas pu aller plus loin, cette fois pour complètement autre chose : le cœur du problème, ce n’est finalement pas tellement comment je mange, mais pourquoi je mange…
Ca a été une prise de conscience extrêmement douloureuse. Parce que oui, clairement, ça fait longtemps que je ne mange plus juste « parce que j’ai faim ». Et il est donc apparu que pour pouvoir bouger sur la question de l’alimentation, j’avais maintenant besoin de prendre soin de mon estime de moi… Enorme colère et sentiment d’abattement : Quoi ? Pour perdre du poids je ne peux pas faire comme tout le monde et m’occuper « seulement » de ce que je mange, je dois apprendre à m’aimer pour arrêter de me faire du mal avec la nourriture ?! Grosse galère, car ça, cette estime de soi, c’est un ENORME chantier. Depuis toujours. Sauf que là, visiblement, plus possible de fermer les yeux dessus. Mais comme ce n’est pas à la diététicienne de m’aider avec ça, et que tant que je n’avance pas là-dessus, visiblement, je ne pourrai pas non plus avancer sur le reste : arrêt momentané du suivi (momentané qui dure encore pour le moment, depuis 2 ans…).
Entre temps, j’ai rencontré quelques professionnels intéressants et bienveillants dans un centre spécialisé dont même mon médecin traitant n’avait jamais entendu parler. Mais là encore, après plus d’un an passé en groupe, j’avais aussi besoin qu’à un moment on prenne en compte les aspects individuels de mes difficultés pour pouvoir avancer. Le groupe c’est chouette et ça m’a apporté des choses, mais ça n’est pas suffisant. Et cette fois j’étais vraiment déçue car j’attendais beaucoup de cette piste de soins qu’on avait mis à jour, un travail sur le corps en individuel avec une psychomotricienne, piste à laquelle personne n’avait pensé auparavant et qui me faisait très peur mais que je me sentais motivée à explorer car en confiance. Mais après autant de temps à attendre, comme rien ne venait et que je continuais à m’enfoncer, j’ai fini par quitter le centre.
Aujourd’hui, je n’ai pas les moyens financiers de consulter un psychomotricien en libéral, mais surtout, je ne me sens plus la force d’entreprendre de nouvelles recherches de professionnels, de reparler de ce que je vis, et de me risquer à un espoir qui sera peut-être encore déçu.
P.